lundi 9 novembre 2015

Comment peut-on être français? de Chahdortt Djavann

Le genre des noms peut d'avérer compliqué pour les étudiants qui apprennent le français, et plus encore quand cette distinction entre le masculin et le féminin n'existe pas dans leur langue maternelle.

Dans son roman "Comment peut-on être français?", publié en 2006, l'écrivain iranienne Chahdortt Djavann évoque les difficultés que rencontre une jeune fille dans son apprentissage du français.

La protagoniste, Roxane, a quitté son pays natal, l'Iran, pour s'installer à Paris. Elle doit lutter pour s'adapter et maîtriser le français, cette langue dont elle est tombée amoureuse mais qui continue à lui échapper. Dans la solitude de l'exil, elle décide d'écrire des lettres à Montesquieu, un grand écrivain français du XVIIIème siècle, pour lui raconter les joies et les difficultés de sa nouvelle vie. 
Je vous recommande la lecture de ce très beau roman, qui sonne aujourd'hui comme un plaidoyer pour l'accueil des migrants dans notre pays.

Je vous copie ci-dessous le passage dans lequel Roxane fait face au problème des articles...

Outre les problèmes de tout genre, il y avait le problème du genre pour Roxane. 
Que les objets et les mots eussent un sexe, elle ne l'aurait jamais cru.
Le persan, "fârsi", est une langue sans sexe, androgyne si l'on veut. On ne dit pas "le fârsi", ou "la fârsi", on dit juste "fârsi". Pas de "la", pas de "le", pas d'histoire avec la masculinité ou la féminité dans cette langue; il y en avait déjà assez avec les être humains, et ça suffisait largement. Grandie sous le régime des mollahs, Roxane en avait gros sur le coeur avec les problèmes de masculinité et de féminité; ce n'était pas le moment d'en rajouter avec le sexe des mots. En outre, il était mille fois plus naturel pour elle, de dire "chaise" que de dire "la chaise". Elle fit donc table rase des articles.
- J'étais dans rue. Matin, il faisait froid. Magasin était fermé. J'ai mangé pomme...
Les articles étaient d'infimes détails.
- Les articles, je les apprendrai plus tard. L'important, c'est les mots; de toute façon, c'est soit la, soit le, ce n'est pas difficile. 
Elle était loin d'imaginer dans quel pétrin elle s'enfonçait.
(...)
Petit à petit, elle prit conscience du ridicule de son français. Elle s'employa à coller les articles aux mots. La tâche ne fut pas simple. Il fallait tout reprendre dès le début. Elle fut accablée de remords.
- Si j'avais appris dès le départ les mots avec leur accent, non pardon, avec leur article, aujourd'hui je n'aurais pas à tout recommencer. Bon, tu répètes dix fois la pomme, la pomme, la pomme... La, la la; une, une, une; pas le, le; pas un, un.
- Et pourquoi la pomme, s'il vous plaît, et pas le pomme?
- Parce que c'est comme ça tu l'apprends pas coeur et tu te tais. Ce n'est pas si difficile de dire "une pomme", "la pomme", bon sang.

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